[Francophone] Présentation

Sébastien Dinot sebastien.dinot at free.fr
Thu Mar 25 19:39:08 EDT 2010


Bonsoir,

Alain Chaumet a écrit :
> je reviens sur cette présentation qui va très vite dans le vif du
> sujet dans son dernier paragraphe.
> Très vite et donc de façon à mon avis trop superficielle, contrepartie
> presque inévitable de la concision de l'expression.

En effet, pour une fois, j'ai essayé de faire court et je me suis dit
après coup qu'il n'aurait pas été inutile que je développe un peu cet
axe et d'autres.

> Je nuance donc ce qui est écrit pour ce qui est de l'IGN -que je vois
> mis en cause en filigrane ;-)

Certes mais pas seulement. J'aurais par exemple des critiques à adresser
à Météo-France en la matière. Ceci étant, je jette moins la pierre à ces
établissements qu'à ceux qui fixent leur lettre de mission. Si le
gouvernement et le parlement décidaient de financer pleinement ces
établissements en leur commandant la libération des données produites (à
l'instar de ce que font les organismes publics aux États-Unis), je pense
que le personnel concerné accueillerait avec bienveillance ce changement
de cap.

> Les données de l'IGN sont "financées par l'Etat" certes mais
> partiellement à des niveaux qui varient du 100% pour quelques unes (ce
> qui conduit en effet à une diffusion gratuite hors frais de livraison,
> cas de l'information géodésique ou des photos aériennes)

Petit aparté : la gratuité est secondaire. Dans mes conférences,
j'indique souvent que, dans le libre, la gratuité est une conséquence et
un moyen, non une finalité. Ce qui compte, c'est la liberté octroyée par
l'auteur aux utilisateurs : liberté d'utiliser, liberté de diffuser,
liberté de modifier pour corriger ou améliorer, liberté de diffuser les
versions modifiées.

Par exemple, l'agglomération rennaise a décidé de diffuser gratuitement
un ensemble d'informations pratiques et j'entends tout le monde s'en
réjouir. Or, sur le site http://data.keolis-rennes.com/, on découvre que
la licence de diffusion retenue est la licence Creative Commons BY-NC-ND
2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/). Autrement
dit, ces données ne sont pas libres et ne peuvent par exemple pas être
utilisées par OpenStreetMap.

Et pour conclure sur ce point, je ne peux que paraphraser François
Elie : « une donnée libre est gratuite une fois qu'elle a été payée ».

> Pour l'évolution des choses, l'IGN détient sans doute quelques clés
> mais le résultat des vraies discussions pour 2010 est avant tout ici
> (voir VI programme 159 ) :
> http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2010/a1973-tI.asp

Lecture intéressante. Merci pour le pointeur.

> Ce n'est donc pas une "rentabilité" qui est visée, mais un allègement
> de la charge de l'Etat

Quand je prends une pièce dans ma poche gauche et que je la mets dans ma
poche droite, je ne m'enrichis pas. Or, là, vous dites qu'en faisant
payer les collectivités, l'État fait des économies...

Par ailleurs, ce n'est pas contre le financement de la production que je
m'insurge. La donnée a un coût qu'il faut financer. Sans argent, pas de
donnée. Ce qui me dérange, c'est primo l'idée que le contribuable paie
deux fois (une fois pour financer la production, une fois pour obtenir
la donnée) et secundo, la logique de rente et d'organisation de la
rareté (une fois la production payée, la donnée devrait être libérée,
surtout à l'ère numérique où le coût de reproduction est marginal).

> la large part laissée à l'utilisation gratuite de l'API Géoportail est
> aussi un élément important en ce sens.

Gratuite mais pas libre : les contributeurs d'OpenStreetMap ne peuvent
pas se servir des photographies aériennes du Géoportail comme calque
d'appui de leurs tracés. Les utilisateurs ne peuvent pas se servir de
ces photos dans leurs projets.

> On voit donc bien que l'IGN se situe bien en pleine cohérence avec les
> principes du service public qui laisse à l'Etat le soin d'assumer
> l'essentiel mais demande aussi aux utilisateurs de contribuer en
> fonction de l'usage qu'ils font des services proposés.

L'IGN est en pleine cohérence avec sa lettre de mission et les moyens
qui lui sont fournis. Une fois encore, l'essentiel de ma critique n'est
pas adressé à l'IGN mais à ceux qui, à l'intérieur ou à l'extérieur,
œuvrent à en désengager l'État et à l'éloigner de sa mission de service
public (quoi qu'en disent les rapports de l'assemblée).

> Toutefois, je note bien que ceci est mal compris et que le projet
> OpenStreetMap croit devoir faire oeuvre utile en constituant une base
> vectorielle censée se substituer à l'information publique de référence
> au moins pour certains usages. L'attitude, louable dans son intention
> au premier abord -nous sommes tous épris de liberté- a malheureusement
> pour conséquence d'entraîner des gens à refaire à titre bénévole avec
> une qualité technique probablement inégale des choses déjà faites de
> manière officielle, justement rétribuée et dont la qualité est
> régulièrement évaluée et maintenue ou améliorée.

Refaire ce qui existe déjà est bien regrettable, je vous l'avoue. Mais
OpenStreetMap, avec son caractère brouillon, ses défauts, ses
imperfections, les trous dans ses données, a une force immense : ce
projet produit des données libres. Des données que tout un chacun peut
utiliser à l'envi en n'ayant comme seules limites son imagination, son
talent, l'énergie et les moyens qu'il peut y consacrer. Des données
qu'il peut corriger et enrichir. Des données qu'il peut partager et
diffuser.

Et au final, n'en doutez pas, comme le logiciel libre est en train de
surclasser un nombre croissant d'outils propriétaires, comme Wikipedia
est en train de surpasser en richesse et qualité les encyclopédies
propriétaires dans un nombre croissant de domaines, OpenStreetMap
dépassera bientôt en qualité et en richesse, dans des zones toujours
plus nombreuses et étendues, les bases de données géographiques
propriétaires. Certes, les géomètres et cartographes de l'IGN ont de
gros moyens à leur disposition et un savoir-faire avec lequel la plupart
des contributeurs ne peuvent encore rivaliser. Mais le savoir-faire
s'acquiert, d'autant mieux que certains contributeurs sont des hommes de
l'art hautement qualifiés. Et avez vous vu l'évolution exponentielle du
nombre de contributeurs d'OpenStreetMap ? Avez-vous vu à quel rythme les
outils autour d'OpenStreetMap se multiplient et progressent ? Avez-vous
vu à quelle point les technologies deviennent de plus en plus
accessibles aux particuliers ? Il y a vingt ans, les gens songeaient
à s'équiper d'ordinateurs. Il y a dix ans, ils songeaient à s'équiper
d'appareils photos numériques et de GPS. Aujourd'hui, des contributeurs
d'OpenStreetMap parlent de drones et des boutiques en ligne fournissent
déjà toute l'électronique en kit assemblé. En qualité globale, nous
sommes encore à des années lumière de Google Maps ou de Géoportail mais
des années seulement, pas des siècles. :)

Est-ce à dire que j'aspire à voir un jour l'IGN disparaître ou devenir
inutile ? Diable, bien sûr que non ! Quel gâchis ce serait ! L'IGN
a tant à apporter en expérience, en méthodologie, en outils, en
sagesse... et en données. Non, ce que j'espère, c'est que l'IGN va
comprendre cette lame de fond, l'aborder en industriel pragmatique,
réfléchir au rôle qu'il pourrait avoir dans ce projet collaboratif et
y trouver sa place, imaginer les services, commerciaux ou non, qu'il
pourrait proposer autour. Vous parliez dans votre message de qualité de
la donnée. Voilà par exemple un service à proposer à une collectivité ou
une entreprise : qualifier la donnée, voire l'amener à un niveau de
qualité contractualisé, fournir une information certifiée. Tout cela,
vous le faites déjà. Offrez à vos clients ces services sur la base
OpenStreetMap. Faute de quoi il est possible qu'un jour, l'armée et
quelques entreprises en quête de transfert ou de dilution des
responsabilités au travers de contrats soient vos seuls clients.

Permettez-moi une citation d'Arthur Schopenhauer :

  Toute vérité franchit trois étapes :
  - d'abord elle est ridiculisée,
  - ensuite elle subit une forte opposition,
  - enfin elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.

> Il me semble qu'il y a plutôt là des sujets quasi inépuisables pour
> qui veut faire oeuvre bénévole, éventuellement en posant les bases
> d'une vraie activité rémunérée.

Alimenter bénévolement une carte propriétaire ne m'intéresse pas. Il
faut être vraiment couillon pour participer par exemple à Google Map
Maker ou toute initiative du même acabit !

OpenStreetMap est libre et quand on voit les cartes thématiques, les
services et les outils que certains sont déjà en train de développer
autour, le mot « libre » prend tout son sens.

Sébastien

-- 
Sébastien Dinot, sebastien.dinot at free.fr
http://sebastien.dinot.free.fr/
Ne goûtez pas au logiciel libre, vous ne pourriez plus vous en passer !


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